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Contrôle antidopage surprise des sportifs





STEDH de 18 de gener de 2018 a l'AFFAIRE FÉDÉRATION NATIONALE DES ASSOCIATIONS ET DES SYNDICATS SPORTIFS (FNASS) ET AUTRES CONTRE FRANCE (Requêtes nos 48151/11 et 77769/13).

 


Affaire : Si l’obligation de localisation qui est imposée aux sportifs désignés par l’agence nationale antidopage en vue de la réalisation de contrôles antidopage inopinés porte atteinte à leurs droits garantis par l’article 8 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 4.

 

Faits saillants:

 

"3. Les requérants, syndicats sportifs et sportifs professionnels, allèguent que l’obligation de localisation qui est imposée aux sportifs du « groupe cible » désignés par l’agence nationale antidopage en vue de la réalisation de contrôles antidopage inopinés porte atteinte à leurs droits garantis par l’article 8 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 4. La requérante y voit également une violation de l’article 8 de la Convention.

 

39. Dès 1967, le Comité des Ministres (ci-après CM) du Conseil de l’Europe a adopté la résolution (67)12 sur le doping des athlètes qui fut suivie en 1979, 1984 et 1988 de trois recommandations dont la dernière prévoyait l’institution de contrôle antidopage sans préavis hors compétition (Recommandation R (88)12 du CM aux États membres concernant l’institution de contrôles antidopage sans préavis hors compétition).

 

40. Par la suite, la Convention contre le dopage (STE no 135, ci-après « la Convention du Conseil de l’Europe ») a été adoptée par le CM le 16 novembre 1989. Instrument de référence à l’échelle européenne, ce texte a été ratifié par tous les États membres du Conseil de l’Europe et cinq États non membres (Australie, Bélarus, Canada, Tunisie et Maroc). Il établit un certain nombre de normes et de règles communes engageant les États parties à adopter des mesures nécessaires à une harmonisation nationale et internationale pour lutter efficacement contre le dopage dans le sport. Un groupe de suivi de la Convention a été mis en place ; il associe à ses travaux l’Agence mondiale antidopage, l’AMA, créée en 1999 (voir paragraphe 45 ci-dessous) et les fédérations sportives internationales. En outre, a été créée le Comité ad hoc européen pour l’AMA (CAHAMA), comité d’experts chargé de coordonner les positions des États européens dans la continuité de l’AMA.

 

42. L’article 7 de la Convention du Conseil de l’Europe intitulé « Collaboration avec les organisations sportives concernant les mesures que celles-ci doivent prendre », en son point 3, indique ce qui suit :

 

« En outre, les Parties encouragent leurs organisations sportives à :

 

a) instituer, en nombre suffisant pour être efficaces, des contrôles antidopage non seulement au cours des compétitions, mais encore sans préavis à tout moment approprié hors des compétitions; ces contrôles devront être menés de manière équitable pour tous les sportifs et comporter des tests appliqués et répétés à des sportifs pris, le cas échéant, au hasard. (...) ».

 

45. La lutte contre le dopage a pris une nouvelle dimension au début des années 2000. L’AMA fut créée à la suite du scandale provoqué, lors du Tour de France en 1998, par la découverte d’un vaste trafic de substances dopantes impliquant une équipe et plusieurs coureurs de renom. Il s’agit d’une organisation internationale indépendante, fondation de droit privé suisse, composée et financée par le mouvement sportif olympique et les gouvernements des États. Elle élabore le CMAD, adopté en 2003 et entré en vigueur le 1er janvier 2004, puis révisé en 2009 et 2015. Elle coordonne et supervise le dispositif mondial antidopage dans toutes les disciplines sportives, en vue de l’application harmonisée de principes généraux communs au niveau international : définition des faits de dopage, liste des substances interdites, contrôles, sanctions et régime des autorisations à fin d’usage thérapeutique.

 

46. Le CMAD est l’instrument d’harmonisation des pratiques des différentes fédérations internationales et des États dans le domaine de la lutte contre le dopage.

 

55. Les articles 6 et 165 du traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE) sont ainsi libellés :

 

Article 6

« L’Union dispose d’une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres. Les domaines de ces actions sont, dans leur finalité européenne (...)

 

e) l’éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport; »

 

Article 165

« 1. L’Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative.

 

2. L’action de l’Union vise : (...)

- à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l’équité et l’ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, ainsi qu’en protégeant l’intégrité physique et morale des sportifs, notamment des plus jeunes d’entre eux.

 

3. L’Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes en matière d’éducation et de sport, et en particulier avec le Conseil de l’Europe. (...) ».

 

56. L’Union apporte sa contribution aux révisions du CMAD. Ainsi, dans une contribution adressée à l’AMA en mars 2012 (6846/12), le Conseil de l’Union européenne a exprimé son point de vue sur l’obligation de localisation en se référant à un avis du groupe « article 29 » sur la protection des données (avis 4/2009). Cet avis souligne que les informations à fournir concernant la localisation et les périodes de contrôles doivent être clairement déterminées en tenant compte des exigences des principes de nécessité et de proportionnalité eu égard aux finalités des contrôles hors compétition. Dans une autre contribution relative à la révision du CMAD (no 6427/13), le Conseil a indiqué que les droits des sportifs pourraient être renforcés par l’élaboration de lignes directrices visant à garantir la proportionnalité des mesures relatives aux groupes cibles de sportifs et à la localisation des sportifs.

 

152. La Cour rappelle que les notions de vie privée et familiale sont des notions larges qui ne peuvent faire l’objet d’une définition exhaustive (Hadri-Vionnet c. Suisse, no 55525/00, § 51, 14 février 2008). La notion de « vie familiale » implique que les intéressés puissent mener une vie familiale normale (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 31, série A no 31). La notion de « vie privée » est initialement comprise comme le droit à l’intimité, c’est-à-dire le droit de vivre autant qu’on le désire à l’abri des regards étrangers (X. c. Islande, no 6825/74, décision de la Commission du 18 mai 1976, D R 5 p. 88) ou le droit de vivre en privé, loin de toute attention non voulue (Smirnova c. Russie, nos 46133/99 et 48183/99, § 95, CEDH 2003-IX).

 

154. La Cour rappelle également que tout comme la « vie privée », la notion de « domicile » figurant à l’article 8 de la Convention est un concept autonome, qui ne dépend pas des qualifications du droit interne, mais est défini en fonction des circonstances factuelles, notamment par l’existence de liens suffisants et continus avec un lieu déterminé (Prokopovitch c. Russie, no 58255/00, § 36, CEDH 2004‑XI (extraits)). Le domicile est normalement le lieu, l’espace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale. L’individu a droit au respect de son domicile, conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme le droit à la jouissance, en toute tranquillité, de cet espace (Giacomelli c. Italie, no 59909/00, § 76, CEDH 2006‑XII).

 

155. En l’espèce, la Cour observe que l’obligation de localisation litigieuse, telle que déterminée à l’époque des faits, impose aux sportifs placés dans le groupe cible de donner pour le trimestre à venir, via le système ADAMS (Anti-doping Administration and Management System) ou le formulaire de l’AFLD, d’une part, leur emploi du temps quotidien détaillé, y compris le week-end, et, d’autre part un créneau d’une heure, entre 6 et 21 heures, dans un lieu où ils seront présents, afin de permettre des contrôles inopinés (paragraphe 69 ci-dessus). Ces contrôles peuvent se dérouler hors des manifestations sportives et des périodes d’entraînement. Ils sont donc susceptibles d’être réalisés au domicile des sportifs si ces derniers l’ont choisi comme lieu de localisation du créneau d’une heure durant lequel ils sont susceptibles de faire l’objet d’un contrôle par l’AFLD.

 

156. La Cour constate ainsi que les sportifs du groupe cible sont astreints à fournir à une autorité publique des informations précises, détaillées et actualisées sur leurs lieux de résidence et sur leurs déplacements quotidiens sept jours sur sept.

 

157...Enfin, les obligations litigieuses limitent les sportifs concernés dans leurs choix de vie car ils doivent impérativement être présents et disponibles chaque jour, pendant une heure, dans un lieu précis tel qu’il permette d’opérer un contrôle. Bien que prévisible pour les sportifs de haut niveau, cette exigence de transparence et de disponibilité suffit à la Cour pour considérer que les obligations critiquées par les requérants portent atteinte à la qualité de leur vie privée, avec des répercussions sur leur vie familiale et leur mode de vie. En particulier, elles réduisent l’autonomie personnelle immédiate des intéressés.

 

159. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que l’obligation de localisation représente une ingérence dans l’exercice par les requérants et la requérante des droits découlant du paragraphe 1 de l’article 8. Pareille ingérence enfreint l’article 8, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire » « dans une société démocratique » pour le ou les atteindre.

 

162... la Cour estime qu’il  (le Codde du Sport) permet aux sportifs licenciés et entourés de leur entraîneur, de régler leur conduite et de bénéficier d’une protection adéquate contre l’arbitraire.

 

163. En conclusion, l’ingérence est « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

 

165. La Cour estime tout d’abord que les requérants ne démontrent d’aucune manière que ce sont des intérêts économiques qui président à la lutte contre le dopage. Elle considère par ailleurs que les autres arguments des requérants et de la requérante relèvent de l’appréciation de la nécessité de l’ingérence. S’agissant du premier but invoqué, la protection de la « santé », la Cour observe avec le Gouvernement qu’il est inscrit dans les textes internationaux pertinents et que tous les éléments du dossier vont dans le sens d’un tel objectif. La Convention du Conseil de l’Europe (paragraphe 40 ci-dessus), le CMAD (paragraphe 45 ci-dessus), la Convention de l’UNESCO (paragraphe 53 ci-dessus) et le code du sport (paragraphe 57 ci-dessus) présentent à l’unisson la lutte antidopage comme une préoccupation de santé, que le sport a notamment pour objectif de promouvoir (voir paragraphes 171 à 177 ci-dessous). En conséquence, la Cour admet que l’obligation de localisation entend répondre à des questions de « santé », celle des sportifs professionnels, mais également celle des sportifs amateurs et en particulier les jeunes (paragraphes 77 ci-dessus et 166 ci-dessous), au sens du second paragraphe de l’article 8.

 

166. À propos du second des objectifs invoqués, la protection de la morale, le Gouvernement renvoie à la loyauté des compétitions sportives. La Cour observe que la nécessité de combattre le dopage est depuis toujours admise dans le domaine sportif et elle renvoie à cet égard aux textes internationaux précités qui font du fair play et de l’égalité des chances l’un des fondements de la lutte antidopage. Or, la Cour estime que ce que le Gouvernement qualifie de morale, s’agissant de la recherche d’un sport égalitaire et authentique, se rattache également au but légitime que constitue la « protection des droits et liberté d’autrui ». En effet, l’usage de substances dopantes pour obtenir des résultats dépassant ceux des autres sportifs, d’abord, écarte injustement les compétiteurs de même niveau qui n’y recourent pas, ensuite, incite dangereusement les pratiquants amateurs, et en particulier les jeunes, à utiliser de tels procédés pour capter des succès valorisants et, enfin, prive les spectateurs d’une compétition loyale à laquelle ils sont légitimement attachés.

 

170...pour se prononcer sur l’équilibre des intérêts en présence, il lui faut au préalable s’interroger sur les dangers du dopage ainsi que sur l’existence d’une communauté de vue aux niveaux européen et international sur la question posée par les requêtes.

 

171...la Cour constate un vaste consensus des autorités médicales, gouvernementales et internationales pour dénoncer et combattre les dangers que le dopage représente pour l’organisme des sportifs qui s’y livrent.

 

175...la Cour estime que les requérants et la requérante minimisent les effets de la prise de produits dopants sur la santé des sportifs....Mais la Cour voit dans les effets éprouvants des compétitions sportives de haut niveau une raison supplémentaire de protéger la santé de ceux qui y sont soumis contre les périls que comportent le dopage et non un motif de réduire la lutte contre cette pratique.

 

176... la Cour considère-elle important d’accorder du poids aux répercussions du dopage professionnel sur le monde sportif amateur.

 

177. Dès lors, la Cour est convaincue que les enjeux sanitaires et de santé publique en cause dans les présentes espèces, et les légitimes préoccupations d’ordre éthique qui leur sont associées (paragraphe 166 ci‑dessus), fournissent un argument déterminant quant à la nécessité de l’ingérence résultant de l’obligation de localisation litigieuse.

 

180. La Cour relève également que la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’AMA continue d’aller dans le sens de la recherche d’une plus grande harmonisation de la lutte antidopage à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe (paragraphe 44 ci-dessus). Elle constate que la dimension transfrontalière du sport de haut niveau rend indispensable la coopération internationale en matière de lutte antidopage.

 

181. Dans ces conditions, elle considère qu’il existe, au regard des normes et de la pratique internationales, une communauté de vue européenne et internationale sur la nécessité d’opérer des contrôles inopinés.

 

184. Dans ce contexte, la Cour constate que les instruments internationaux pertinents dénotent une évolution continue des normes et des principes appliqués sur la nécessité d’opérer des contrôles inopinés rendus possibles en partie grâce au dispositif de localisation. Elle considère ainsi que les dénominateurs communs des normes de droit international dont relève la question juridique en cause est un élément dont elle doit tenir compte pour décider de la nécessité de l’ingérence litigieuse dans une société démocratique.

 

190. La Cour estime enfin que les requérants et la requérante ne démontrent pas que des contrôles limités aux lieux d’entraînement et respectant les moments dédiés à la vie privée suffiraient pour réaliser les objectifs que se sont fixés les autorités nationales, face aux développements des méthodes de dopage toujours plus sophistiquées et aux très brefs espaces de temps pendant lesquels les substances prohibées peuvent être détectées. Au regard des périls établis par les éléments du dossier et des difficultés rencontrées pour les réduire efficacement, la Cour convient, avec le Gouvernement, qu’il y a lieu de regarder comme justifiées les obligations de localisation prises en vertu des normes de droit international précitées.

 

191. La Cour ne sous-estime pas l’impact que les obligations de localisation ont sur la vie privée des requérants et de la requérante. Toutefois, les motifs d’intérêt général qui les rendent nécessaires sont d’une particulière importance et justifient, selon l’appréciation de la Cour, les restrictions apportées aux droits que leur accorde l’article 8 de la Convention. Réduire ou supprimer les obligations dont ils se plaignent serait de nature à accroître les dangers du dopage pour leur santé et celle de toute la communauté sportive, et irait à l’encontre de la communauté de vue européenne et internationale sur la nécessité d’opérer des contrôles inopinés. La Cour juge donc que l’État défendeur a ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu, et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention".

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